Je laisserai aujourd'hui la parole à une voix venue d'un autre siècle, inattendue dans ce contexte, et dont les accents paraissent étrangement actuels :
Le vulgaire et l'ennuyeux! toute la mythologie des païens grossiers n'a rien imaginé de plus subtil et de plus effrayant. Ils se ressemblent beaucoup, en ce que l'un et l'autre ils sont laids, plats et pâles, quoique multiformes, et qu'ils donnent de la vie des idées à vous en dégoûter dès le premier jour où l'on y met le pied. De plus, ils sont inséparables, et c'est un couple hideux que tout le monde ne voit pas. Malheur à ceux qui les aperçoivent trop jeunes! Moi, je les ai toujours connus. Ils étaient au collège, et c'est là peut-être que tu as pu les apercevoir; ils n'ont pas cessé de l'habiter un seul jour pendant les trois années de platitudes et de mesquineries que j'y ai passées. [ ...] J'avais presque oublié qu'ils habitaient Paris, et je continue de les fuir, en me jetant dans l'imprévu, avec l'idée que ces deux petits spectres bourgeois, parcimonieux, craintifs et routiniers ne m'y suivront pas. Ils ont fait plus de victimes à eux deux que beaucoup de passions soi-disant mortelles; je connais leurs habitudes homicides et j'en ai peur...
Et, pour conclure, ces mots, issus de la même voix :
Chaque génération plus incertaine qui succède à des générations déjà fatiguées, chaque grand esprit qui meurt sans descendance, sont des signes auxquels on reconnaît, dit-on, un abaissement dans la température morale d'un pays.
C'était en 1863, du vivant de Baudelaire, dans un roman jugé - à tort - "sentimental" et d'une force singulière : Dominique, d'Eugène Fromentin.