En ces temps de verbalisme impénitent, où la complaisance et l'enflure se donnent libre cours, où le discours ne fait plus sens et l'on ne prête même plus l'oreille à la parole de l'Autre, tout occupé qu'on est de la sienne, il peut être bon de relire (?) les essais que produisit à cet égard le tournant du dix-neuvième au vingtième siècle : Richard Le Gallienne ("A Conspiracy of Silence", in Prose Fancies,1894), Maeterlinck ("Le Silence", in Le Trésor des Humbles, 1896), Léon Bloy ("La Parole est d'argent, le Silence est d'or", in Exégèse des lieux communs, 1902), Vernon Lee ("Against Talking" et "In Praise of Silence", in Hortus Vitae, 1904). Vernon Lee regrettait déjà le discrédit où était tombée la Pensée, alors que le grand coupable était le Discours. "Dès que les lèvres dorment, les âmes se réveillent", écrivait Maeterlinck. Lee y revient dans un autre essai, "[an] over-garrulous tribute to silence", affirmant que les mots ne sont pas toujours de bonne compagnie. Le Gallienne allait plus loin encore, en proposant la fondation d'une "Trappe séculière" à l'imitation des moines trappistes astreints au mutisme absolu, visant, dans une formule forte, à "balayer les immémoriales jacasseries du Discours" (the sweeping away of immemorial rookeries of talk). Le religieux est d'ailleurs souvent invoqué dans ce débat. Maeterlinck notait que "la parole est du temps, le silence de l'éternité", ajoutant : "Dès que nous parlons, quelque chose nous prévient que des portes divines se ferment quelque part". Léon Bloy, comme lui, reprend le lieu commun opposant le Silence d'or à la Parole d'argent, et donnant sans doute à ce conflit sa forme définitive, en ne craignant pas d'affirmer : "la Parole semblera s'éteindre […] cependant qu'à l'autre extrémité du ciel apparaîtra la prodigieuse Face d'or de Celui qui se nomme lui-même, inscrutablement, le Silence!" Voilà qui, d'être rappelé, peut paraître salutaire, en ces temps de verbalisme impénitent. Comme est le message de Richard Le Gallienne :
Heureux moines de La Trappe! L'on a entendu le monde vous plaindre en son vain verbiage. Une heure de parole pour une année de silence! Céleste proportion! Et j'imagine que, lorsque cette heure est venue, elle paraît n'être qu'un vulgaire jouet dont vous avez oublié l'usage. Si j'étais Trappiste, j'utiliserais cette heure pour convertir les ouailles au silence et ne romprais le long mutisme de l'année que pour m'écrier : "Comme le silence est bon!"
Inaugurons donc une Trappe séculière, ourdissons une conspiration du silence, envoyons promener le monde. Et si nous devons parler, que ce soit en latin ou dans le volapük d'une musique chargée de sens; et que nul ne plaisante sinon en grec, - afin que tout le monde rie! Mais, mieux encore, laissons complètement tomber la parole et écoutons l'étoile du matin.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire