mardi 16 avril 2019

HEUR ET MALHEUR DU TRADUCTEUR

Le traducteur est-il un homme heureux ? Il est permis d'en douter. Mal considéré, mal rémunéré, toujours passible d'une accusation de traîtrise envers le texte qu'il translate, en vertu du vieux dicton italien "traduttore / traditore", la gloire qu'il récolte ne lui appartient pas. La position peu confortable d'entre-deux, intermédiaire, truchement, personne interposée ou  personne entremise, cette malédiction du préfixe à laquelle il ne peut se soustraire, achèvent d'en faire un subalterne des lettres, ou, comme on dit au théâtre, une utilité, une doublure. Shelley le voyait, face aux textes à traduire, comme il se voyait lui-même avec modestie, "perpetually tempt[ed] to throw over their perfect and glowing forms the grey veil of [his] own words". Obsédé par la déperdition de l'original sous sa plume mercenaire, par ses beautés enfuies, ses heureux tours gommés, le traducteur ressemble à ce cuisinier fameux, suicidé pour le retard de la marée. 
Ces réflexions me sont venues en relisant le beau livre de Richard Le Gallienne, The Quest of the Golden Girl. Comment traduire ce titre, qui échappe à tous les efforts ? "Fille d'or", "Fille dorée", "Fille en or" sombrent lamentablement et ne sauraient convenir. "Fille aux yeux d'or" est un contresens et paraît singer Balzac. "La Quête de l'oiseau rare" trahit autrement le syntagme. Le Gallienne métaphorise l'or jusqu'à la fin du livre, subitement devenu grave à la mort d'Elisabeth, sur la tête de laquelle, avec les années, "l'auburn avait gagné et l'or avait perdu". "La Quête de la femme idéale" est commun et plat. "La Quête de la femme de ma vie" est pire encore, évoquant le roman de gare. La parodie n'est pas loin. En fait, elle existe dans la langue originale. En 1897, David Hodge publiait sa réplique, où le nom de Le Gallienne devenait de Lyrienne et le titre, changé en The Quest of the gilt-edged Girl. Voici la fille dorée sur tranche! Belle variation destructrice sur un beau titre qu'elle cherche à rendre dérisoire. On songe au baudrier de Porthos, "qui n'était à l'envers point d'or, mais en cuir vulgaire". Et c'est l'autre malédiction du traducteur que cette aporie de la traduction, butant éternellement sur un titre que l'on peut moquer mais non traduire...     


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