A tous les lecteurs qui m'ont interrogé sur la présence insistante du latin dans mon dernier roman Veturia (mon blog du 20 février), je répondrai ce qui suit.
Veturia, ce n'est pas seulement une plongée dans le monde romain; c'est aussi un effort, peut-être désespéré, de renouer avec la langue latine, que des décrets ineptes ou criminels tendent à reléguer au nombre des choses inutiles. Espèce en voie de disparition, le latin tente ici de survivre, par l'Enéide, Horace ou une lettre de Pline, et, plus encore, par le dialogue muet avec la statue. "Il avait exhumé du fond de sa mémoire quelques bribes de latin" (p. 10). "Le latin venait couramment sous sa plume" (p. 18). "Il eût voulu écrire son roman en latin, afin qu'il ne fût lu et compris que de Veturia" (p. 79). Même Manon, faisant amende honorable auprès de la statue, déplore son ignorance du latin (p. 99-100). Le roman est ainsi un moyen de redonner vie au latin, d'en faire une langue vivante.
Il faudrait dire : tous les latins. Celui de Virgile comme celui de l'Ecclésiaste, celui de Catulle comme celui du Stabat Mater, celui de Lucain comme celui de Daniel ou du Livre de Job. "Ce n'était pas là le latin de Tite-Live; c'était un latin qu'elle ne connaissait pas et qu'il n'avait pas eu le temps de lui apprendre" (p. 70). Le paradoxe ici est celui d'une Romaine de la République faisant l'apprentissage de sa propre langue, rencontrant un latin inusité qu'on ne parlerait que plus tard. "Veturia ne pouvait certes connaître ni Virgile, ni Ovide" (p. 84). Même Manon, "afin de plaire à Veturia", avait "recherché le latin de Sénèque" dans le De Amicitia (p. 102).
Toute une bibliothèque latine défile ici, de Virgile à Claudien et de Stace à Fortunat, où Lucain, peut-être, se taille la meilleure part. Façon, aussi, d'initier une Romaine de l'époque archaïque au latin tardif. Cette initiation à la Décadence, dont le protagoniste, par délicatesse, gomme les stupres et les brutalités, se résoudrait plutôt en une rencontre avec les afféteries de l'alexandrinisme, Veturia semblant "goûter particulièrement dans Apulée la fable de Psyché, frappée sans doute par le rite secret de la visitation nocturne" (p. 49-50).
Louis-Marie Quicherat et Othon Riemann, le lexicographe et le grammairien, sont aussi convoqués, comme pour donner une assise scientifique au propos romanesque. Le protagoniste du roman, qui en est en même temps l'auteur, de même que l'héroïne Veturia, paraissent pratiquer le Gradus ad Parnassum comme autant d'écoliers jadis sur les bancs de l'école. Le roman Veturia se révélerait ainsi comme un roman d'apprentissage, dans lequel le latin jouerait le double rôle d'instrument de communication rhétorique et sentimentale.