dimanche 16 avril 2017

OBITUAIRE II

Il y a un an, je célébrais le service funèbre de l'Université (voir "Obituaire", 26 avril 2016). Aujourd'hui, c'est un autre décès qui retiendra mon attention : celui de la littérature. Et les deux vont de pair. Les signes n'en manquent pas dans la titrologie récente : "La littérature, pour quoi faire?" (2007); Misère de la littérature (2005); La Haine de la littérature (2015); La littérature en péril (2007); L'Adieu à la littérature (2005); et, pour finir, ce titre à valeur de manifeste : Comment parler des livres que l'on n'a pas lus? (2007) 
Cet acte de décès n'est-il pas paraphé par les universitaires eux-mêmes, qui s'ingénient à remplacer la littérature? Le livre (qu'on n'a pas lu) le cède désormais à d'autres objets, la bande dessinée (japonaise, de préférence), la série télévisée (américaine, de préférence) et, pire encore, le graffiti, dont des équipes de nettoyage jadis louées à grands frais gommaient les traces sur les édifices publics, aujourd'hui baptisé "street art". Des vocables à la mode prennent le relais, comme ces "Gender Studies" dont on nous rebat les oreilles dans tous les amphithéâtres de France et de Navarre... ou de Champagne-Ardennes, témoin cette "journée d'études" à l'intitulé navrant : "Gender et séries télévisées",  et située dans une bibliothèque portant le nom de Robert de Sorbon, lequel doit se retourner dans sa tombe, à entendre pareilles billevesées et autres "tropes télévisuels". Et de donner à tout ceci une apparence de science, pour tenter de lui trouver une légitimité.
Je livrerai pour terminer ces paroles pour le moins inquiétantes de Jeffrey J. Kripal, professeur à Rice University, dans son Introduction au livre de Bernardo Kastrup More than Allegory (2016), p. 5 : "Eblouis par les succès technologiques de la science et de l'ingénierie, nous en sommes venus à considérer la réalité comme un composé de nombres invisibles. Tout ce qui est réel se dénombre. Tout ce qui vaut la peine d'être connu peut être mesuré. Tout ce qui ne vaut pas la peine d'être connu ne peut être mesuré. La seule forme réelle de connaissance est mathématique ou scientifique. Tel est en tout cas le postulat. Mais c'est plus qu'un postulat. Au moment où j'écris, le ministre japonais de l'éducation promulgue un décret abolissant tous les programmes tenant aux sciences sociales et aux humanités dans les universités du Japon. Et des soixante universités d'état, vingt-six sont d'accord pour appliquer ledit décret dans une certaine mesure". 
La France va-t-elle suivre ?