vendredi 26 juillet 2019

LES FASTES DU PARFUM

Les fastes du parfum n'ont pas attendu, pour se voir célébrés, le best-seller de Patrick Süsskind. La fin du dix-neuvième siècle et les raffinements de l'esprit de Décadence réservent une place de choix à l'opoponax, l'ylang-ylang ou le corylopsis. Theodore Wratislaw en Angleterre (1893), Franc-Nohain en France (1903), Théodore Hannon en Belgique (1881) ont chanté à  l'envi les vertus de l'opoponax. Jean Berge, dans Les Extases (1888), décrit "L'extase de l'odorat" où règnent "Ylang-ylang et New Mown Hay / Corylopsis, ô parfums fades"; l'Homme Sirène de Luis d'Herdy s'attarde sur "un mélange de chypre, d'ylang, de peau d'Espagne, de corylopsis et d'ambre gris" (1899). Le cœur est désormais un Corylopsis du Japon, "sa grandeur détergeant un relent de Chlorose" (Vicaire et Beauclair, 1885). Quant à Félicien Champsaur, il les multiplie et les confond dans un bal masqué où chacun sert à identifier une danseuse : vétiver, cèdre, santal, œillet, violette, foin coupé, verveine, réséda, menthe, héliotrope" (Miss America, 1885). Dans son dernier roman (1884), Edmond de Goncourt montre Chérie Haudancourt, pour qui "le goût des parfums […] devenait une exigence impérieuse", vivant "au milieu des extraits triples d'odeurs", "Kiss me quick - Lily of the Valley - New Mown Hay - Spring Flowers - West End - White Rose - White Lilac - Ylang-ylang", à quoi s'ajoutent le "mélange flottant des esprits de tubéreuse, de fleurs d'oranger, de jasmin, de vétyver, d'opoponax, de violette, de fèves de Tonka, d'ambre gris, de santal, de bergamote, de néroli, de benjoin, de verveine, de patchouli" (Chérie, chap. LXXXV). Parfum des fleurs, ou parfum des mots? On les retrouve dans un roman récemment paru, d'intrigue élaborée et de structure subtile, dont le personnage principal est le Cuir de Russie, "un cuir tendre et presque mélancolique", qui "a quelque chose de poignant" et "donne envie de pleurer" : C'est La Couleur du Parfum, aux Editions Complicités (2019).     

samedi 13 juillet 2019

MOLIERE A L'EPREUVE

L'époque fin-de-siècle (1880-1900) a, du dix-septième siècle, une vision contrastée. Si elle célèbre l'éminence et la modernité de Pascal et de La Bruyère, le traitement réservé à Molière surprend par sa sévérité. Paul Adam, qui le met en bonne place dans son livre Le Triomphe des Médiocres (1898) et ne l'appelle jamais que "le tapissier Poquelin", ne  craint pas d'écrire : "Il est merveilleux que notre Université conseille à l'adolescence de connaître l'œuvre de Molière. On y apprend à rire de tout effort pour s'instruire et anoblir l'âme" (p. 15). Aucune pièce, aucun personnage n'échappe à sa vindicte : l'"ignoble matérialité"  du bonhomme Chrysale, le mauvais goût d'Alceste en matière de poésie, Tartufe "loué par l'athéisme électoral des marchands de vin" figurent parmi les cibles. Agnès n'est qu'une "gourgandine", et Arnolphe se voit réhabilité pour s'être inscrit en faux contre "le fait de s'unir comme les chats, les pigeons et les chiens, au hasard de la rencontre!" Charles Morice ira même jusqu'à dire : "Molière nous dégoûte de nous-mêmes" (La Littérature de tout à l'heure, p. 104).  
Il est curieux de voir que deux esprits aussi différents que Ernest Hello et Paul Adam aient abordé tous deux la question du mariage chez Molière. "La pensée splendide du mariage, cet idéal de recréer un seul être avec deux formes en harmonie, il la voue à notre rire de barbares", écrit Paul Adam. Hello, dans Les Plateaux de la Balance (1880), s'attarde longuement sur ce sujet, souvent dans les mêmes termes. "L'harmonie, sous toutes ses faces, ayant échappé à Molière, le mariage devait lui échapper nécessairement" (p. 225). Il rive le clou : "Je ne pense pas que la tête étroite de Molière ait contenu, même un instant, la seule idée du sacrement. […] Personne plus que lui n'a ignoré l'union entre deux natures". La conclusion est sans appel : "Son art est le contraire d'une œuvre d'art. L'art délivre : Molière asservit". Adam surenchérit : "Que le marchand s'occupe de drap et se ravale au goût de sa servante". Tout est dit.