dimanche 21 novembre 2021

SHELLEY BOTANISTE

 On sait l'attraction exercée sur Shelley par le plus immatériel des quatre éléments : l'air, sous toutes ses formes, que célèbrent à l'envi ses poèmes les plus connus : le nuage (The Cloud) et l'oiseau (To a Skylark) sont dans toutes les mémoires. Moins notoire, peut-être, est sa familiarité avec ce qui naît de la terre, et l'attention portée au végétal. Après la Sensitive, ici traduite en italien, on le voit ainsi célébrer la Courge, dans un poème au titre italien (The Zucca) : poème bâti, comme The Sensitive Plant, sur le cycle des saisons, le déclin de l'automne et l'hiver dévastateur. Si l'automne n'est plus, pour Shelley, "the season of mellow fruitfulness" de Keats, c'est l'insistance sur la mort de l'été qui se voit ici mise en valeur. "Summer was dead", le syntagme revient à deux reprises (v. 1 et 9), "the form of every Summer plant was dead" (v. 80-81). Shelley connaît les étés trop courts de Baudelaire : "Swift Summer into the Automne flowed" (SP III, 22). Il connaît aussi les ravages de l'hiver, du gel et du dégel, sur la plante qui y est soumise (Its leaves [...] the thaw / Had blighted). La plante, chaque fois, demeure proche de l'homme, comme faite à son image et partageant son angoisse. 

Les deux poèmes ont un incipit analogue : "A sensitive plant in a garden grew" et "A plant upon the river's margin lie". Elles ont ainsi chaque fois la vedette. Et même si, dans une conclusion optimiste inattendue, la Beauté semble renaître dans l'un des deux poèmes, le protagoniste de The Zucca ne semble savoir que pleurer la mort d'une Beauté précaire (I yet lived to weep / The instability of all but weeping) (wept over the beauty, which [...] had left the earth bare), dans un monde où, comme dans The Sensitive Plant, les choses les plus nobles, êtres et plantes, ont la froideur d'un cadavre (leaving noblest things [...] cold as a corpse). Cette image revient dans les deux poèmes (the garden became [...] like the corpse of her, SP III, 17-18).

La sensitive n'est pas, il s'en faut, la seule espèce florale dans le poème à elle consacré. On n'y compte pas moins de vingt-six sortes de végétaux, phanérogames ou cryptogames, bénignes ou malignes, étalées comme à plaisir. Mais les plantes parasites ont le dessus; et si la courge du second poème paraît prospérer, la sensitive ne semble pas survivre. Rare inspiration chez le poète anglais, en tous cas, que ces destins floraux réussis ou - surtout - manqués, voués qu'ils sont à la décomposition et à la pourriture, que les dix traducteurs italiens ici considérés ont tenté d'acclimater, en faisant bravement de leurs versions respectives comme autant d'actes d'amour. "Ho tradotto per amore", déclarait ainsi l'un d'eux, en s'inscrivant en faux contre l'adage bien connu, "traduttore, traditore". Le lecteur jugera. 


Dix Variations italiennes sur la Sensitive

Jean de Palacio

12, 50€