dimanche 29 septembre 2019

L'AUTOMNE : CELEBRATION OU DEPLORATION?

Saison universellement chantée, l'automne jouit dans la pensée d'un étonnant prestige. John Keats, dans une ode célèbre, songeant sans doute aux fastes des vendanges, y voyait "la saison des brumes et de la suavité des fruits" (season of mist and mellow fruitfulness), où même la brume semblait propice, usant pour la décrire de cet adjectif "mellow" qui fait le désespoir des traducteurs. Annandale, toujours bien inspiré, ne propose pas moins de sept définitions, dont je retiendrai la quatrième : "toned down by the lapse of time"; ou comment la définition d'un dictionnaire réintroduit la mélancolie! Même Baudelaire vacille, ne craignant pas de dire à la Beauté : "Vous êtes un beau ciel d'automne, clair et rose", quitte à démentir cet optimisme dès le vers suivant : "Mais la tristesse en moi monte comme une mer". Et ses "étés trop courts" sont dans toutes les mémoires, accompagnés, dans "Chant d'automne", des "froides ténèbres", de la menace : "Tout l'hiver va rentrer dans mon être" et d'un cortège d'images sinistres : l'échafaud, la tour qui succombe, la tombe, le cercueil. Je proposerai la version d'un autre poète, aujourd'hui oublié, dans un recueil tardif paru en 1910 : 

O soirs agonisants d'automne! O bois rouillés
Où dorment des parfums perfides et mouillés! 
O charme qui fait mal! O poignante amertume
Du soleil trépassé dont la clarté posthume
Rêve dans les marais comme un long souvenir! 
O troublante beauté de ce qui va finir!
Mystérieux aimant des saisons douloureuses! 

On y voit ensuite défiler des âmes mortes, les dames du temps jadis de Villon, Yseult, Viviane, Béatrice Cenci, Anne Boleyn, Marie Stuart, Marie-Antoinette et la princesse de Lamballe. Beaucoup d'images de têtes coupées! Le poème est d'Albert Giraud (1860-1929) (La Guirlande des Dieux, Bruxelles, Lamertin, 1910, p. 119-121).   

samedi 7 septembre 2019

S'ECRIRE - NE PAS S'ECRIRE

Les correspondances interrompues, rompues, délaissées, inachevées sont des yeux qui se ferment. Max Jacob le savait, qui écrivait, disait-il, vingt lettres par jour. La lecture de ses dernières lettres à plusieurs correspondants le démontre pleinement, bien qu'il tente d'exorciser la pensée de cet abandon, en avril 1943, dans une des dernières lettres à Claude Valence : "S'écrire ou ne pas s'écrire? Aucune importance. Ca n'a d'importance que pour les relations à conserver […] S'écrire ou ne pas s'écrire… bah!... Picasso ne m'écrit jamais. Salmon reste des années sans m'écrire ni Pierre Colle". Mais déjà, en 1924, à René Rimbert : "Vos lettres me sont devenues nécessaires […]. Ecrivez-moi, aidez-moi". Mais la dernière lettre à Armand Salacrou : "Je t'ai prédit un jour que tu me laisserais tomber après ton premier succès; fais-moi mentir"; mais la dernière lettre à Jean Grenier : "Embrassons-nous in excelsis. On dirait que mes lettres ne t'arrivent jamais"; mais la dernière lettre à Edmond Jabès : "Je te remercie de ne pas me condamner et je suis ton ami"; mais la dernière lettre à André Lefèvre : "Nous ne nous voyons plus jamais mais je pense toujours à vous" : toutes ces lettres disent éloquemment une crainte qui semble ne jamais l'avoir quitté.