samedi 28 mars 2020

UNE REHABILITATION ?

Deux titres pourraient, à eux seuls, résumer la production romanesque - abondante - de René MAIZEROY (1856-1918), romancier et nouvelliste jadis aussi célèbre et lu que Guy de Maupassant, aujourd'hui irrévocablement tombé dans l'oubli. Mort à l'issue de la Première Guerre mondiale, témoin d'une Epoque révolue, dite Belle, Maizeroy a peint sans relâche les libertinages et les tendresses de la "bonne société" sans toujours en celer le tragique. Les deux titres allégués le disent : L'Amour qui saigne, son premier livre (1882) et Des Baisers, du Sang, livre de la maturité (1898). La Femme, sous toutes ses formes, est au centre de son oeuvre : Celles qu'on aime, Celles qui osent, Petites Femmes, Petite Reine, Joujou, La Remplaçante, L'Adorée; quand ce n'est pas La Peau ou Au Bord du lit! Une éloquente titrologie la détaille dans tous ses traits, tous ses gestes et toutes ses attitudes. Les hommes, en revanche, semblent faire moins bonne figure, tel le Claude Thiercey de la nouvelle "Le Feu de Joie" (1909), - longue nouvelle qui se souvient peut-être de Fort comme la Mort -, face à la touchante Madame de Faverel en proie au "mal de vieillir"; ou le Jacques de Violaine de la nouvelle "La Fin de Don Juan" (1883), finissant sa carrière dans un fauteuil à roulettes dans un village de banlieue. Mais les hommes n'ont-ils pas en même temps la caution de Maupassant lui-même, précisément dans une préface qu'il écrivit en 1883 pour... René Maizeroy?! "Jamais on ne me fera comprendre que deux femmes ne valent pas mieux qu'une, trois mieux que deux [...]. N'en garder qu'une, toujours, me semblerait aussi surprenant et illogique que si un amateur d'huîtres ne mangeait plus que des huîtres, à tous les repas, toute l'année".       

mercredi 25 mars 2020

LES BOUCHES INUTILES

Simone de Beauvoir en avait fait une pièce de théâtre (1945). Aujourd'hui, plus que jamais, par temps de crise et de pandémie, elles sont d'actualité. Certes, la dichotomie a toujours été la règle. Il y a les riches et les pauvres, les fols et les sages, les justes et les damnés, les conservateurs et les libéraux. Mais à présent, jusque dans le discours politique officiel, une catégorie revient obstinément : les actifs et les inactifs. Il existe des variantes : les utiles et les inutiles, les indispensables et les superflus. Sans doute pourrait-on dire : les inactifs furent actifs parfois près d'un demi-siècle, les inutiles aujourd'hui furent utiles hier. Mais la mémoire est courte. Et il est un péché dont on ne se remet pas et qui n'est pas remis : la vieillesse. Même un poète le disait :
          Maintenant, devenu ce que je suis, un vieux...
Mais le vieux mange : il faut donc le nourrir. Le vieux est malade : il faut donc le soigner. Et voilà le hic : cela a un prix! Lorsque l'épidémie éclate et que les vivres se font rares et les lits d'hôpitaux plus encore, lorsqu'il faut choisir, à qui va-t-on donner la pitance et la couche? La réponse n'est pas douteuse. A moins que, la devançant, le vieux n'invoque de lui-même la Camarde afin de laisser la place libre et l'assiette pleine. La bouche, parfois dénuée de dents, se ferme pour toujours, et c'est bien ainsi, sur la montagne de Narayama du film d'Imamura (1983). Mais les politiques quadragénaires, qui en décident, et n'ont pas pris les mesures nécessaires pour qu'il en soit autrement, auront soixante-dix ans un jour : comme la vieille Orin...