lundi 17 octobre 2022

UN ECRIVAIN LATIN AUX ALENTOURS DE 1900 : AUSONE

La latinité tardive intéresse la Décadence finiséculaire. Ainsi le poète bordelais Ausone (D. Magnus Ausonius Burdigalensis), IVe siècle, qui inspire à Remy de Gourmont une belle page dans Le Latin Mystique (1912) ["Ausone est un poète curieux de tout, riche d'imagination et par conséquent de contradictions, hanté de visions charnelles dont il se débarrasse en écrivant à ses amis, [...] D'un charme tout neuf dans la poésie latine"] et qui sait mêler la délicatesse des idylles et des roses à l'obscénité parfois criarde d'un Martial, laissant aussi un beau poème évocateur d'un voyage en Moselle. Deux traducteurs, à l'époque, se sont risqués à le rendre en français : Edouard Ducoté, directeur de la revue L'Ermitage et lui-même écrivain de talent (1897); et Charles Verrier, moins connu, mais préfacé par Gourmont encore (1905). Voici, du second traducteur, une épigramme d'Ausone, qui peut donner un aperçu de l'inspiration du poète gaulois : sans doute pas la meilleure ! Mais Décadence oblige !


                                 In scabiosum Polygitonem 

                                 Contre le galeux Polygiton 

Thermarum in solio si quis Poligitona vidit

Ulcera membrorum scabie putrefacta foventem 

Si tu voyais dans sa baignoire, Polygiton occupé d'échauder les ulcères de ses membres pourris de gale, tu trouverais ce spectacle préférable à tous les divertissements. Il pousse des gloussements saccadés ; il se plaint comme une fille qui jouit; il crie sur tous les tons comme s'il pâmait de plaisir. Puis semblable à la Ménade qu'agite l'esprit d'un dieu, il se met à faire tourner de tous les côtés ses bras, sa poitrine, ses jambes, ses flancs, son ventre, ses cuisses, ses hanches, ses mollets, son dos, ses épaules et le trou de sa symplégade pleine d'ordure, jusqu'à ce que la chaleur du bain engourdisse le mal qui promenait sa souffrance dans tous ces endroits différents, et le fasse tomber dans une molle langueur. [...] Ainsi Polygiton laisse peu à peu ses membres hideux s'affaisser. Il se prépare aux eaux du Phlégéton ; il sait qu'il lui faudra un jour ou l'autre expier sa vie. 

Mais voici un extrait de son poème le plus célèbre "Les Roses" :

Ambigeres, raperet ne rosis aurora ruborem,

An daret; et flores tingeret orta dies.

Tu douterais si l'aurore emprunte aux roses leur couleur, ou la leur donne. Est-ce le jour naissant qui teignit les fleurs? Même rosée, même couleur, même charme matinal à toutes deux; car l'étoile et la fleur ont pour reine Vénus. Peut-être ont-elles un même parfum; mais la brise disperse dans les airs le parfum de celle-là, celle-ci exhale son odeur tout près de nous. Déesse de l'étoile et déesse de la fleur, la divinité de Paphos les vêtit toutes deux de pourpre. 

C'était l'heure où les boutons naissants des roses allaient s'épanouir. [...]. Celle-ci découvre son extrême pointe et dégage sa tête empourprée, celle-là déploye les voiles attachés sur son front; elle rêve déjà de compter ses pétales et bien vite elle montre les beautés de son riant calice. [...] L'une d'elles, qui tout à l'heure brillait de tous les feux de sa chevelure, pâlit abandonnée par ses pétales qui s'effeuillent. J'admirais les prompts ravages du temps fugitif et ces roses flétries sitôt que nées. Et voici que [...] le sol est jonché de pourpre (trad. Ed. Ducoté). 

Ronsard, Malherbe ne sont pas loin...


samedi 8 octobre 2022

VICTOR HUGO AU PURGATOIRE

 Mort en 1885, objet de funérailles nationales avant d'être panthéonisé, Victor Hugo ne fait pourtant pas l'unanimité de la postérité littéraire. Il eut du moins une plaisante continuation et comme une manière de réincarnation en Catulle Mendès, si l'on en croit le dessin de Demare pour Les Hommes d'Aujourd'hui (4ème volume, n° 203), où on le voit au paradis, déclarant : "celui-ci est mon fils bien-aimé en qui je me suis complu". Surtout, il demeure pour beaucoup l' "homme de l'éternelle antithèse" (le mot est de Huÿsmans, lequel disait plus crûment : "Victor Hugo a fait son temps. A d'autres! où cela mènera-t-il de le suivre?" 1879), illustrée par exemple par le célèbre portrait de Josiane dans son roman L'Homme qui rit : "la duchesse Josiane avait cette particularité, moins rare du reste qu'on ne croit, qu'un de ses yeux était bleu et l'autre noir. [...] Le jour et la nuit étaient mêlés dans son regard". Dix ans avant Huÿsmans, Louis Veuillot écrivait déjà, dans un sonnet significativement intitulé "Olympio" (1869) :

       On dit, et pour ma part j'accorde sans débat,

       Que sa chère antithèse à contre-temps bourdonne,

       Qu'en ses meilleurs endroits la cheville foisonne. 

Ernest Hello y revient en 1880 : "Qu'est-ce qu'un poète qui réside tout entier dans l'antithèse? C'est un caprice qui s'étale en tout sens" (Les Plateaux de la Balance, p. 91). Mais il y a plus sévère encore, à en croire ces deux critiques alors réputés. "Boileau et Victor Hugo ayant été vaincus non pas l'un par l'autre, mais l'un malgré l'autre et chacun d'eux par lui-même, le combat a fini faute de combattants : ils sont tous morts noyés dans le déluge malsain de leurs propres paroles, comme deux mouches dans un verre d'eau", écrivait déjà Hello en 1872 (L'Homme, p. 325). Et Charles Morice rive le clou en 1889 : "Victor Hugo usurpe un rang qui n'est pas. Son originalité est faite de l'imitation de tout le monde. En tout il se crut le premier? Il était le second en presque tout. [...] Victor Hugo a opprimé son temps. Il ne faut pas qu'il opprime l'avenir. Il faut qu'on cesse de croire qu'il ait tout réalisé" (La Littérature de tout à l'heure, p. 138-139) ; et d'ajouter : "V. Hugo lieu commun de toutes les innovations, sans y rien ajouter de son propre" (Ibid., p. 267). 

Verdict sans appel ? Chacun reste juge.