Afin de me purger l'esprit des caricatures de Gaulois répandues de nos jours à travers la bande dessinée, je suis allé voir Alésia. J'ai arpenté le forum, jadis bruissant de va-et-vient et de paroles, aujourd'hui silencieux. J'ai longé rues et ruelles, le long des boutiques sous les portiques, me suis attardé près du lieu de culte du dieu Ucuetis fondé par les bronziers et forgerons. J'ai jeté un coup d'œil sur les caves où la place des amphores était encore visible, vu le théâtre et la basilique civile. Ville si présente et dont il ne reste rien que des soubassements de pierre, mais si présente dans son dénuement, au moment où les Mandubiens durent la quitter comme autant de bouches inutiles. Sententiis dictis, constituerunt, ut, qui valetudine, aut aetate, inutiles sunt bello, opido excedant. J'avais emporté les Commentaires de César, une édition ancienne publiée à Venise en 1605 apud Pietrum Ricciardum, et relisais dans le livre VII le sort de ces Mandubiens hospitaliers, qui eos opido receperunt, cum liberis, atque uxoribus, exire coguntur [...] flentes, omnibus precibus orabant, ut se, in servitutem receptos, cibo iuuarent. Ville morte vivante, plus vivante d'être morte, où s'était joué le sort d'un peuple et d'un homme, encore habitée par la tristesse de Vercingétorix pris en tenaille entre eruptio et deditio, et dont la statue colossale se dresse toujours à quelques sept cents mètres de là, en proie à quelques absurdes touristes se faisant photographier à côté du grand homme. Ce contraste entre la noblesse du monde antique et la bêtise actuelle, où des foules se ruent dans des parcs à la recherche d'infantilisantes images virtuelles, n'était nulle part plus sensible qu'à Alésia, in summo colle positum, éternellement seule dans le panorama de la plaine des Laumes, Alexia, qui nisi obsidione expugnari non posse videbatur, où se dresse encore l'ombre des fortifications de César pour le siège.
mercredi 20 juillet 2016
dimanche 10 juillet 2016
LE REGNE DE LA LITOTE
Des mots tombent en désuétude, remplacés par d'atténuatives et bienséantes périphrases. On n'est plus aveugle, mais non voyant; ni sourd, mais mal entendant. Partout, la litote sévit, y compris dans la vie sociale. Affublé d'un instrument bruyant qui lui brise les tympans et incommode le voisinage, le balayeur municipal est devenu technicien de surface; et la caissière des hypermarchés, soumise par sa direction à des rythmes toujours plus effrénés, s'intitule en contrepartie hôtesse de caisse. L'aveugle y gagne-t-il plus de commisération et la caissière plus de dignité? Rien n'est moins sûr. Leurs émoluments sont-ils revus à la hausse? Il ne le semble. Mais la litote est là, consolante, hypocrite.
La pire touche à l'âge. On n'est plus jamais un vieillard, encore moins un vieux. Aujourd'hui, on est un senior. Et une race nouvelle est apparue : le senior souriant. Les publicités regorgent de sourires âgés, empreints de jovialité, de satisfaction, de bien-être. Il faut dire que pour les industriels du voyage, du loisir, de la gastronomie ou de la mode, il y a là une clientèle de choix, un marché colossal. Cela vaut bien un comparatif et un sourire. Peu importe s'il apparaît figé, inexpressif et visiblement de commande. Le senior est heureux. Il l'est, il doit l'être. Son nom se confond avec seigneur. Noblesse d'emprunt. Pourtant, ce n'est qu'un comparatif, celui de senex, Gaffiot le confirme, ne signifiant autre chose que vieux. Donc, plus vieux.
Cet adjectif substantivé, ostracisé, certains l'avaient pourtant osé, et non des moindres. Dans son dernier recueil de vers, le poète Auguste Dupouy ne craignait pas d'écrire :
Je voudrais, devenu ce que je suis, un vieux,
Me reposer là-bas, sous les pins de la dune.
Et encore :
Or voici que je suis devenu ce vieillard
N'ayant appris vraiment que peu de choses.
Et un autre poète, Maurice Magre, dans le très beau poème "Vieillesse", inclus dans un recueil au titre significatif (La Montée aux Enfers) et une section plus significative encore ("Le masque de la Beauté perdue") :
Tel je serai. Dans un vieux corps une jeune âme
Dans un visage replâtré, les yeux repeints
[...]
Chacun contemplera sur ce vainqueur sinistre
Les poches de mes yeux et les nœuds de mes mains.
[...]
[...]
Ô pouvoir qui détruis et fais naître, ô nature!
Fais-moi mourir avec des cheveux et des dents.
Belle réclame pour une maison de retraite...
samedi 2 juillet 2016
TITROLOGIE
La titrologie romanesque reflète-t-elle son époque? On a eu la Princesse de Clèves, la Vie de Marianne, Manon Lescaut, la Duchesse de Langeais, Madame Bovary, Madame Gervaisais, Nana. On a même eu le Lys dans la vallée. Aujourd'hui, la devanture du libraire propose Le Jour où Anita envoya tout balader, La fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette ou Marguerite n'aime pas ses fesses. Contraste aussi cuisant que révélateur. Où sont aujourd'hui Madame de Rênal et Madame de Mortsauf? Où, Madame de Couaën et Madame Arnoux? Mais où sont les vierges d'antan?
D'où l'intérêt de s'attarder un instant sur la titrologie. Léon Bloy écrivait en 1891 : "Pour qui cherche dans les œuvres des écrivains autre chose qu'un délassement ou une trépidation nerveuse, le titre d'un livre a l'importance d'un ostensoir de grandeur ou de vanité" (Sur la tombe de Huÿsmans, 1913, p. 59). Devenu simple instrument de racolage, l'ostensoir désacralisé est tombé dans le bourbier, panneau publicitaire ou speculum!
D'où l'intérêt de s'attarder un instant sur la titrologie. Léon Bloy écrivait en 1891 : "Pour qui cherche dans les œuvres des écrivains autre chose qu'un délassement ou une trépidation nerveuse, le titre d'un livre a l'importance d'un ostensoir de grandeur ou de vanité" (Sur la tombe de Huÿsmans, 1913, p. 59). Devenu simple instrument de racolage, l'ostensoir désacralisé est tombé dans le bourbier, panneau publicitaire ou speculum!
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