vendredi 23 juin 2017

STATUES / 3


Je n’avais pas présent à l’esprit, lorsque j’ai écrit Veturia [voir "Consolation" 20 février 2017], ce ballet pantomime en deux actes et quatre tableaux de Théophile Gautier, que nous a conservé Émile Bergerat et qui s’intitule La Statue amoureuse[1]. C’est à juste titre que Bergerat évoque Mérimée à son endroit ; et le passage, au doigt de la statue, de l’anneau d’or au premier tableau, ne fait que confirmer la « grande analogie ». J’ai aussi adopté cette péripétie (Veturia, p. 26). Mais Konrad (chez Gautier) et Alphonse (chez Mérimée) agissent dans une sorte d’énervement du jeu ou même de transe (Gautier parle même d’un « accès de délire ») où ils ne sont plus eux-mêmes. Alors que Coriolis fait preuve d’un acte conscient et maîtrisé, ne reflétant que le sentiments pur que lui inspire la statue. Celle-ci d’ailleurs, j’ai pris soin de le dire comme pour me disculper à l’avance, n’est pas une Vénus (Veturia, p. 7) et n’a aucun lien avec les puissances occultes. D’ailleurs, contrairement aux deux autres statues, elle ne referme pas le doigt sur l’anneau. De même, dans Veturia, l’épisode de l’anneau ne vient point interférer avec un lien terrestre sacré, fiançailles ou noces prochaines ; et cet anneau fera l’objet d’un attentat de la part de Manon, sera arraché, le doigt brisé, et jeté ensuite par la maîtresse jalouse.

À la différence de Veturia, les statues mises en scène par Gautier et Mérimée ont un caractère maléfique, représentent une déviation ou une sorte de sacrilège. À deux reprises, Konrad, chez Gautier, est ramené dans le droit chemin par un « saint prêtre », lui disant « qu’il a manqué tomber dans une embûche du démon ». Il est même question d’un exorcisme. La Vénus d’Ille a un caractère funeste plus appuyé encore. Mérimée parle de l’« expression diabolique de la dame », de « cette diabolique figure », et même d’« une divinité infernale ». On a clairement affaire ici à la Vénus baudelairienne, proche de l’enfer et héritée de la légende de Tannhäuser, que mentionne d’ailleurs Bergerat. Veturia, au contraire, est bénéfique, inspiratrice, source de joie et représentant une sorte d’impossible idéal, que détruira au dénouement un orage au sens manifestement symbolique. Contrairement au retour à l’ordre (chez Gautier) et à la mort du protagoniste (chez Mérimée), c’est, dans Veturia, la statue elle-même qui est détruite et se désagrège.                    

      




[1] Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, Paris, Charpentier, 1879, p. 217-221.

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