mardi 21 avril 2020

DAMNATION DE VOLTAIRE

La postérité n'a pas toujours été tendre pour Voltaire, et les panthéons fin-de-siècle ne lui ont guère fait place. Chacun se souvient de l'interpellation précoce de Musset (1833) sur son "hideux sourire" hérité de Houdon. Charles Morice dira en 1889 : "Musset a pour lui la haine de la victime pour l'assassin". Il ne se trouve que Flaubert pour oser dire à madame Roger des Genettes : "J'aime le grand Voltaire autant que je déteste le grand Rousseau" (1859). Trente ans plus tard, la "grande palpitation qui a remué le monde" paraît singulièrement essoufflée. "Aujourd'hui c'est Voltaire qui règne, c'est à dire moins que rien", s'écrie Morice; "Si Louis XIV est en bois, Voltaire, lui, est en boue"; "cette oeuvre énorme n'existe pas"; "Rien en poésie, rien en prose, rien en science. Rien au positif, voilà le résultat de Voltaire. Au négatif il se revanche et ce vent de néant qu'il souffle a tout fané autour de lui. Une contagion de néant" (in La Littérature de tout à l'heure, 1889). Dès 1872, Ernest Hello, parle de la "longue et hideuse grimace du dix-huitième siècle" qui "devait laisser son type dans une grimace vivante, et Voltaire est né". "Singe", "imbécile malpropre", il n'a pas pour lui de mots assez durs (in L'Homme, 1872). Il réitère en 1880 : "Voltaire est descendu si bas, qu'après avoir tué (dans la mesure de son pouvoir) Dieu, l'homme, la société, l'Art, il rit de bon coeur et danse sur les cadavres qu'il croit avoir faits" (in Les Plateaux de la Balance, 1880). C'est toujours le hideux sourire de Musset : "ricanement stupide lancé à la face de tout et de tous", et : "Sous le rire de Voltaire [...] il y avait des grincements de dents, comme en enfer" (Hello). Le grand mot est lâché. La même année 1880, Adrien Duval, d'ailleurs proche de Hello auquel il rend hommage, publie ses Contes merveilleux, contenant notamment le conte intitulé "Le Congé de Voltaire". Satan s'y promène "au milieu de ses damnés favoris", au nombre desquels Voltaire, "l'un des plus laids, auquel les diables eux-mêmes empruntaient des grimaces". Nous sommes en 1878; Voltaire demande à Satan une grâce : "un congé pour assister aux préparatifs de [s]on centenaire". Ce congé de trente jours est accordé, mais Voltaire, dans une sorte de nostalgie de l'Enfer, revient huit jours après, ayant constaté que Jésus est de retour et que l'esprit religieux n'est pas mort. Le jugement de l'auteur est sans appel : Voltaire est "un des grands malfaiteurs de l'humanité, un exemplaire complet des péchés capitaux".      

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