La latinité tardive intéresse la Décadence finiséculaire. Ainsi le poète bordelais Ausone (D. Magnus Ausonius Burdigalensis), IVe siècle, qui inspire à Remy de Gourmont une belle page dans Le Latin Mystique (1912) ["Ausone est un poète curieux de tout, riche d'imagination et par conséquent de contradictions, hanté de visions charnelles dont il se débarrasse en écrivant à ses amis, [...] D'un charme tout neuf dans la poésie latine"] et qui sait mêler la délicatesse des idylles et des roses à l'obscénité parfois criarde d'un Martial, laissant aussi un beau poème évocateur d'un voyage en Moselle. Deux traducteurs, à l'époque, se sont risqués à le rendre en français : Edouard Ducoté, directeur de la revue L'Ermitage et lui-même écrivain de talent (1897); et Charles Verrier, moins connu, mais préfacé par Gourmont encore (1905). Voici, du second traducteur, une épigramme d'Ausone, qui peut donner un aperçu de l'inspiration du poète gaulois : sans doute pas la meilleure ! Mais Décadence oblige !
In scabiosum Polygitonem
Contre le galeux Polygiton
Thermarum in solio si quis Poligitona vidit
Ulcera membrorum scabie putrefacta foventem
Si tu voyais dans sa baignoire, Polygiton occupé d'échauder les ulcères de ses membres pourris de gale, tu trouverais ce spectacle préférable à tous les divertissements. Il pousse des gloussements saccadés ; il se plaint comme une fille qui jouit; il crie sur tous les tons comme s'il pâmait de plaisir. Puis semblable à la Ménade qu'agite l'esprit d'un dieu, il se met à faire tourner de tous les côtés ses bras, sa poitrine, ses jambes, ses flancs, son ventre, ses cuisses, ses hanches, ses mollets, son dos, ses épaules et le trou de sa symplégade pleine d'ordure, jusqu'à ce que la chaleur du bain engourdisse le mal qui promenait sa souffrance dans tous ces endroits différents, et le fasse tomber dans une molle langueur. [...] Ainsi Polygiton laisse peu à peu ses membres hideux s'affaisser. Il se prépare aux eaux du Phlégéton ; il sait qu'il lui faudra un jour ou l'autre expier sa vie.
Mais voici un extrait de son poème le plus célèbre "Les Roses" :
Ambigeres, raperet ne rosis aurora ruborem,
An daret; et flores tingeret orta dies.
Tu douterais si l'aurore emprunte aux roses leur couleur, ou la leur donne. Est-ce le jour naissant qui teignit les fleurs? Même rosée, même couleur, même charme matinal à toutes deux; car l'étoile et la fleur ont pour reine Vénus. Peut-être ont-elles un même parfum; mais la brise disperse dans les airs le parfum de celle-là, celle-ci exhale son odeur tout près de nous. Déesse de l'étoile et déesse de la fleur, la divinité de Paphos les vêtit toutes deux de pourpre.
C'était l'heure où les boutons naissants des roses allaient s'épanouir. [...]. Celle-ci découvre son extrême pointe et dégage sa tête empourprée, celle-là déploye les voiles attachés sur son front; elle rêve déjà de compter ses pétales et bien vite elle montre les beautés de son riant calice. [...] L'une d'elles, qui tout à l'heure brillait de tous les feux de sa chevelure, pâlit abandonnée par ses pétales qui s'effeuillent. J'admirais les prompts ravages du temps fugitif et ces roses flétries sitôt que nées. Et voici que [...] le sol est jonché de pourpre (trad. Ed. Ducoté).
Ronsard, Malherbe ne sont pas loin...