jeudi 14 avril 2016

DEMOLIR ou REDECOUVRIR?

Il s'est trouvé de tout temps de bons (?) esprits pour parler de ce qu'ils n'avaient point lu ; à plus forte raison, pour le démolir. Cette fois, c'est Désiré Nisard (1806-1888) qui fait les frais de cette pratique, dans un "roman" paru en 2006 et intitulé précisément Démolir Nisard. Dès les premières pages, le malheureux s'y voit traité de tous les noms : "faux-jeton", "triste pitre", "vieux birbe", "vilain cafard", "sinistre cagot", "rampant comme un visqueux reptile", "vautré dans sa fange". Hormis ce chapelet d'injures, que trouve-t-on dans ce roman? On suit l'homme d'une enfance ingrate à une vieillesse malpropre et vaguement libidineuse, le tout, évidemment, sans le moindre fondement. L'œuvre du critique est liquidée en quelques formules péremptoires : "œuvre idéalement vide", "triste construction de pâte à papier".  Pareille attitude, qui préfère, en termes outranciers, l'éreintement vulgaire à la réflexion et à la lecture, se voit assigner la place qui lui convient dans le propos récent d'Emmanuel Bury : "l'actualité littéraire prouve encore aujourd'hui que Nisard est considéré comme un "perdant" par la doxa commune (ce qui d'ailleurs n'est pas un critère de justesse ou de vérité), et le jeu serait facile d'emboîter le pas à ce mouvement, qui est dû, comme souvent dans le monde littéraire, à l'ignorance plus qu'à autre chose".  
Ignorance, en effet, celle d'un grand livre que Nisard publie à vingt-huit ans, Etude de mœurs et de critique sur les poëtes latins de la décadence (1834, réédité en 1849,1867,1878,1888), d'une rare intelligence et qui marquera tout le siècle. Ne voir là que "vide" et "pâte à papier" est à coup sûr une réaction affligeante, ne démontrant que l'absence de lecture et à laquelle le livre tout entier apporte un démenti : il n'est par exemple que de relire le passage consacré à la sibylle de Lucain au chant V de la Pharsale pour avoir un aperçu de la puissance de la pensée et du style de Nisard (éd. 1849, tome II, p. 144-147).
Quelle occasion perdue dans ce parti-pris de préférer l'invective à la critique! mais l'antidote à ce venin existe : il s'intitule Redécouvrir Nisard, est le fruit d'une journée d'études (tenue à l'ENS sous la direction de Mariane Bury, qu'il faut remercier de cette initiative), qui n'avait rien de ce que l'auteur de Démolir Nisard appelle avec mépris une "visite oblique de quelque universitaire pressé en quête d'une référence pour une note en bas de page". C'est publié par Klincksieck en 2009. J'y renvoie avec plaisir le lecteur de bonne foi, s'il veut se faire une idée juste de Désiré Nisard vu par des gens qui l'ont lu.

1 commentaire:

  1. J'ignorais l’existence de ce "roman". La démarche de cet auteur me choque, tout comme me choque un extrait du "résumé" de cet ouvrage inutilement violent et méchant : "Désiré Nisard doit disparaître. L'idéal serait qu'il n'ait jamais vécu. La plus infime trace de son existence sera effacée. Ce livre entend lui régler son compte une bonne fois." Que de haine dans ces mots! J'ai lu l'extrait consacré à la sibylle que vous évoqué et je l'ai trouvé très beau et loin d'être vide, n'en déplaise à certain!

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